Le Peuplement ancien du Mont Agu et de ses vallées environnantes

Carte ethnolinguistique du Togo illustrant la cohabitation multi-ethnique séculaire et pacifique des différentes composantes du Peuple Togolais (Crédit: www.muturzikin.com)

Les données empiriques en Ethnolinguistique (Études scientifiques des Textes liturgiques et rituels oraux et/ou écrits dans les Langues d’un Terroir, Études systématiques des Toponymes, des Hydronymes, des Patronymes et des Théonymes au sein d’une Communauté humaine) en combinaison avec certains rares Travaux sérieux de Recherches en Anthropologie (par ex. Roberto PAZZI: 1979) et en Histoire (par ex. Nicoué GAYIBOR: 1985 & 2011) permettent de considérer aujourd’hui que le Mont Agu, ses collines et ses vallées environnantes étaient faiblement peuplés dès le 9e siècle de l’ère actuelle par de petites communautés d’agriculteurs, de chasseurs, de métallurgistes et d’orpailleurs issus essentiellement des groupes ethniques Akposso et Tutrugbu. Les Tutrugbu (appelés aussi Ntribu par déformation phonétique) seront désignés plus tard par les immigrants Eʋe avec l’appellation de Anyɔgboawo, Nyɔgboawo ou Nyangboawo, en référence à leur culte sacré dédié au Lamentin (Anyɔgbo) qui est considéré (à juste titre d’ailleurs) comme un Symbole de la Source d’Eau douce exprimant la Vie (cf. K. Kofi Folikpo 2017 cité en bibliographie).
La perpétuation jusqu’à une date récente du culte de certaines Divinités chtoniennes très anciennes (Blèmà Trɔwó) qui sont typiquement Akposso telles que Kɔtɔ-Bliku (ou Kɔtɔ-Bluku) à Agu-Kebo-Dalave et Atiya à Agu-Nyɔgbo-Dzidzɔle (ou Nyɔgbogã) ainsi qu’à Agu-Akplolo (au lieu connu jusqu’aujourd’hui sous le Toponyme Atiya Kpeɖome) sont quelques unes des preuves évidentes de ce peuplement ancien par de petites communautés Akposso.
Une autre preuve évidente de ce peuplement ancien par des Clans de métallurgistes Akposso (et leurs alliés Akpafu) connus pour leur bonne maîtrise du travail du Fer depuis l’Antiquité tardive dans la Région des Grands Lacs (ancien royaume de Kanem) est le fait que l’un des plus vieux ateliers de Forge (Yɔxɔ) communément reconnu et attesté dans l’actuel arrière-pays Eʋe avant l’immigration massive des Adja-Eʋe se trouvait jusqu’à une date récente sur le flanc sud du Mont Agu, plus précisément sur le site de l’actuel village d’Agu-Kebo-Domeʄeme (anciennement connu sous l’appellation de Goli-Kɔʄe).
Il faut peut-être préciser au passage que les premiers habitants que furent les Anyɔgboawo, Nyɔgboawo ou Nyangboawo ne s’appellaient pas eux-mêmes ainsi. Ils se désignaient eux-mêmes comme étant les Batrugbu et désignaient leur Langue avec l’appellation Tùtrugbú (cf. Bobuafor 2013 citée en bibliographie).
Ces premiers habitants seront rejoints plus tard vers le 10e siècle de l’ère actuelle par la communauté des Tavié qui va s’installer principalement sur les collines dénommées jusqu’aujourd’hui Tavié-Nyitoé et situées entre les villages actuels d’Agu-Tavié-Gadzeʄe et d’Agu-Atigbe-Dzogbeʄeme.
Les Tavié (ou Tafié ou encore Tafi) ne se désignaient pas eux-mêmes sous cette appellation, mais plutôt sous l’appellation c’est-à-dire sous l’Ethnonyme ou Nom communautaire de Bàgbɔ (cf. Bobuafor 2013 citée en bibiographie). Et ils désignaient eux-mêmes leur Langue avec l’appellation Tɛgbɔ (cf. Mous 2003 & UNESCO Publishing 2015 cités en bibliographie).
Ces communautés d’Akposso, de Tutrugbu (devenant plus tard les Anyɔgboawó/Nyɔgboawó) et de Tavié installées de façon éparse dans cette contrée vont servir pendant longtemps d’intermédiaires entre les royaumes de Larteh et d’Akwapim dans l’actuel Ghana (à l’ouest) et le royaume d’Adja-Tado à l’est qui sera supplanté plus tard par la montée en puissance de la Cité-État de ŋɔtsie .
Les conséquences désorganisatrices de la violente Traite Négrière qui a commencé à ravager plus intensément les sociétés ouest-africaines à partir de la fin du 15e siècle se sont traduites par des luttes fratricides au sein du royaume des (à l’ouest).
Ces luttes fratricides ont provoqué des vagues migratoires d’une bonne partie des clans Gã vers l’est dès le début du 16e siècle.
Un groupe très hétérogène de ces clans Gã prendra le nom de Bòtsò (ou Bòssò) et s’installera entre autres sur le site actuel du village d’Agu-Kebo-Domeʄeme (anciennement connu sous l’appellation de Goli-Kɔʄe) en s’ajoutant aux premiers habitants qui étaient de petits clans Akposso et Tutrugbu de Forgerons (Métallurgistes).
Les répercussions néfastes de cette Traite Négrière dévastatrice sur la Cité-État de ŋɔtsie située à l’est du Mont Agu se sont traduites par la nécessité pour le Souverain de l’époque (le Roi Àgɔ-Kɔlí) de faire ériger des Remparts protecteurs (Àgbògbò) pour faire face à l’Insécurité généralisée de plus en plus grandissante.
La construction très pénible de ces édifices protecteurs ajoutée à la pénurie de plus en plus croissante de terres cultivables pour une population en croissance démographique permanente et ajoutée à la restriction croissante des espaces d’habitation ont obligé les habitants de ŋɔtsie à quitter progressivement leur Cité-État en petits groupes vers de nouveaux Terroirs propices, sécurisants mais aussi moins contraignants.
C’est ainsi que l’ensemble des Clans désignés de façon collective avec l’appellation des Àgùawó quitta progressivement aussi et en petits groupes la Cité-État de ŋɔtsie pour s’ajouter aux communautés déjà installées depuis plusieurs générations sur les versants du Mont Agu et dans ses vallées environnantes.
Contrairement aux spéculations surréalistes très répandues dans l’imaginaire collectif des populations actuelles du Terroir d’Agu, l’arrivée des Àgùawó dans leur Terroir actuel n’a pas été un mouvement migratoire spontané et massif vers une région totalement inhabitée, à l’instar des récits bibliques surréalistes sur un ‘exode’ supposé des Hébreux vers une ‘terre promise‘ imaginaire à partir de l’Égypte kamito-pharaonique de nos Ancêtres vénérés et débonnaires.
La Vérité historique recommande donc impérieusement de souligner clairement ici que la Communauté des Tavié installés depuis plusieurs générations sur les collines dénommées jusqu’aujourd’hui Tavié-Nyitoé était celle qui accueillit et donna l’hospitalité à un groupe de nouveaux immigrants des Àgùawó qui arrivaient vers le 16e siècle de l’ère actuelle, non pas directement de ŋɔtsie, mais plutôt des montagnes de l’Akebu après plusieurs années de pérégrinations.
Voilà donc ce qui explique l’attribution du Nom communautaire des Kebuawó à cette nouvelle vague d’immigrants, en référence à leur Lieu de provenance immédiate.
De tout ce qui précède, on peut retenir en résumé que l’Histoire du Peuplement du Terroir actuel d’Agu n’a pas commencé avec l’arrivée des Àguàwó à partir du 16e siècle de l’ère actuelle.
On peut retenir également qu’une véritable Ingénierie sociale très habile a toujours permis l’intégration harmonieuse des nouveaux arrivants à travers la re-actualisation permanente des Normes sociales et des Valeurs sociales qui constituent les Fondements séculaires de la société dans l’intérêt des générations qui se succèdent.
On peut enfin retenir que la pérennisation de ces Normes sociales et de ces Valeurs sociales dans la Mémoire collective a toujours constitué la garantie de Survie des Populations du Terroir ancestral d’Agu.

© K. Kofi FOLIKPO, PYRAMID OF YEƲE, 2018 – 2021. Tous Droits réservés.

Références bibliographiques

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