Immigration des « Aguawó »

 

Mise en scène en Théâtre populaire du mouvement migratoire des Eʋe.


L‘imaginaire collectif populaire a souvent clamé que les Eʋeawó auraient fait un « exode » à partir de la Cité-État de ŋɔtsie pour échapper à la tyrannie de leur souverain Agɔ-Kɔli.
S’il est vrai que cette affirmation a le mérite d’indiquer une époque comme Référence temporelle dans la chronologie des évenements et dans l’historiographie contemporaine des Peuples compris entre les fleuves Mɔnɔ (Mono) et Amugã (Volta), elle ne permet pas malheureusement de bien comprendre le contexte historique, socio-économique et socio-politique dans cet espace géographique entre le 15e siècle et le début du 17e siècle de l’ère actuelle.
En effet, la deuxième moitié du 15e siècle est essentiellement marquée dans cet espace géographique ouest-africain par l’arrivée des premiers commerçants européens et des premiers missionaires chrétiens par bateau le long de la côte ouest-africaine dès 1472 en provenance du Portugal et de l’Espagne.
Il est très essentiel de souligner avant toute explication que la période allant du 10e siècle au 14e siècle de l’ère actuelle et ayant précédé ces arrivées d’Européens dans cette région ouest-africaine était essentiellement marquée par la très grande prospérité socio-économique du Royaume d’Adja-Tado suivie avec le temps par la montée en puissance de la Cité-État de ŋɔtsie, grâce à un facteur scientifique, technologique et socio-économique incontournable: l’extraction des Minerais (et plus particulièrement le Fer) et le Travail de la Métallurgie pour la production des outils agricoles, des armes de chasse et de défense, comme la vidéo ci-après en donne une explication très édifiante.


 

Ces intrusions exotiques et prédatrices en provenance d’une Europe affamée qui végétait encore dans un Moyen-Âge piteux, misérable, cruel, barbare, intellectuellement stagnant et infecté de toutes sortes d’épidémies dévastatrices vont non seulement changer radicalement les modes d’échanges économiques et commerciaux, mais surtout les structures sociales et étatiques dans les sociétés africaines.
En effet, l’arrivée des commerçants européens avait non seulement provoqué la monétisation à outrance des échanges inter-personnels et socio-économiques mais aussi le grave travestissement de la pratique séculaire d’agrandissement d’une cellule familiale ou clanique à travers l’intégration d’Esclaves. Dans la pratique originale et séculaire au sein des sociétés africaines pré-esclavagistes, un(e) Esclave acquis(e) par un Patriarche (Tɔgbui) ou par une Matriarche (Mama) n’était pas une vulgaire « propriété personnelle » de quelqu’un, mais devenait plutôt un Membre à part entière de la famille ou du clan en vue de son agrandissement, puisqu’il/elle constitue un nouveau maillon de reproduction sociale à travers des mariages endogènes et exogènes.

Image illustrative d’un Hó-Zikpui


Voilà ce qui explique jusqu’aujourd’hui au sein du Peuple Eʋe la Pratique rituelle du « Hó-Zikpui » en l’honneur d’un(e) ancien(ne) Esclave intégré(e) entièrement dans une communauté familiale ou clanique par un Patriarche (Tɔgbui) de son vivant ou par une Matriarche (Mama) de son vivant ayant payé le Prix () pour l’intégration sociale de cet(te) Esclave. On peut donc comprendre aisément que cette Pratique rituelle autour d’un « Ho-Zikpui » à l’instar de ce qui est fait autour d’un « Tɔgbui-Zikpui » en l’honneur des dignes Ancêtres d’une famille ou d’un clan n’est aucunément dédiée à une quelconque Divinité, contrairement aux propagandes missionaristes aussi farfelues que grotesques et malhonnêtes.
Le mercantilisme héréditaire et congénital des Européens qui faisaient déjà entre eux dans leur propre pays le commerce avec des Esclaves (blancs!) depuis des siècles les poussa à manipuler habilement leurs hôtes africains afin que ceux-ci transforment aussi leur pratique d’acquisition d’Esclaves en une activité commerciale susceptible d’alimenter l’approvionnement en Esclaves pour les mines d’or et pour les plantations nouvellement créées dans les Amériques.
En effet, les Esclaves européens brutalement acheminés vers les Amériques par les aventuriers européens dès le début du 15e siècle de l’ère actuelle ainsi que les Peuples autochtones d’Amérique violemment esclavagisés par ces envahisseurs européens brutaux mourraient par paquets de mille en raison des conditions atroces de dur labeur et de vie frugale. Il fallut donc trouver une main d’oeuvre beaucoup plus robuste pour pallier à cette situation inquiétante.
Et c’est ainsi que les aventuriers européens se sont inspirés de la pratique très violente et très dévastatrice du « Djihad » arabe en vogue dès le 9e siècle de l’ère actuelle pour désorganiser gravement les sociétés africaines pré-esclavagistes.
Le « Djihad » arabe (pompeusement dénommée ‘guerre sainte‘) consistait (et consiste toujours jusqu’aujourd’hui) à imposer l’islam arabe par la Ruse, par la Terreur et par les Armes à tous les peuples voisins (Sud de l’Espagne et du Portugal, Sud de la France, toute la Péninsule arabique, l’Afrique du Nord, etc.).
La conséquence fatale de cette manipulation psychologique mortifère des Africains par les commerçants européens véreux et sans scrupules est la naissance chaotique d’une chasse à l’homme dévastatrice et à grande échelle entraînant une Insécurité généralisée et un grave affaiblissement progressif des structures étatiques.
Quelques unes des mesures de Sécurité prises par les souverains face à la montée des razzias esclavagistes étaient la construction de Fortifications et Remparts (Àgbògbò) pour protéger leurs villes et cités, comme les schémas ci-après en donnent l’illustration:

L’initiative du Souverain Agɔ-Kɔli pour la construction de Remparts (Àgbògbò) à cette époque répondait donc parfaitement aux impératifs de l’époque, même si la tâche s’avérait très pénible.
L’espace intérieur délimité par ces remparts protecteurs était occupé par les populations selon les affinités familiales et claniques.
Un ensemble de Clans (Hlɔsá) plus ou moins bien soudés à travers des liens solides de Patriarcat, de Matriarcat, de Mariage et d’intérêts corporatifs et cultuels habitait la zone orientale de cet espace devenant de plus en plus exigu pour une population en croissance démographique perpétuelle.
Cet ensemble de Clans reçut l’appellation des « Àguawó » , en référence à leur zone (orientale) d’habitation, puisque l’Aurore matinal (Àgu) annonçant le Lever du jour se pointe toujours de ce côté.
L’exiguïté de l’espace d’habitation à l’intérieur des remparts protecteurs ajoutée à la pénurie de plus en plus croissante des terres cultivables aux alentours de l’agglomération obligea une première partie de ces Clans des « Àguawó » à prendre le risque de migrer vers les flancs orientaux et les vallées orientales du Mont Agu essentiellement occupées par une savane d’un arbuste appelé « Akplólúí  » en Eʋegbè en raison de sa très grande résistance à la sécheresse et en raison de la dureté de son bois. Ce groupe des « Àguàwó » finit par recevoir l’Ethnonyme (Nom communautaire) d’ « Akplolo » du fait de leur installation dans une zone peuplée essentiellement d' »Akplólui« . On peut aisément remarquer ici que c’est l’environnement naturel (la végétation) du Lieu d’installation de ce groupe social qui a finit par lui donner un nom.
Un deuxième groupe de ces Clans des « Àgùawó » décida plus tard d’emboiter le pas aux premiers en choisissant d’aller plus loin sur les versants occidentaux du Mont Agu pour s’ajouter aux petites communautés des premiers occupants qui étaient les « Bòtsò » et les « Tutrugbu » dont ils finissent d’ailleurs par adopter aussi le culte sacré autour du Lamentin (Anyɔgbo) et donner ainsi le nouveau Nom communautaire « Anyɔgboawó » à l’ensemble du groupe social ainsi recomposé.
Un troisième groupe des « Àgùawó » choisit d’aller se mettre en sécurité un plus en hauteur sur les versants orientaux du Mont Agu occupés à l’époque par de grandes forêts denses toujours brumeuses et très peu ensoleillées. Cette situation climatique fit dire que ce groupe des « Àgùawó » a trouvé refuge dans les forêts brumeuses « noires » (yibɔ), puisque ces forêts brumeuses sont faiblement ensoleillées durant toute l’année.
Le quatrième et dernier groupe des « Àgùawó » finit aussi par prendre la direction Nord dans l’espoir d’aller trouver un nouveau Terroir sécurisant et avec assez de terres cultivables. Ces migrants arrivent dans les montagnes de l' »Akebu » où vivaient déjà des premiers habitants que sont les « Akebu » et les « Àdèlè« . La pression démographique dans les montagnes d’Akebu ajoutée aux vélléités expansionnistes des royaumes voisins de l’ouest obligea ce groupe des « Agùawó » ayant fait chemin ensemble avec les « Aŋlɔawó » à migrer de nouveau vers le sud pour s’ajouter aux premiers habitants des versants et des vallées du Mont Agu ayant accueilli quelques années plus tôt les trois premières vagues des « Àguawó » avec lesquels ces derniers migrants entretenaient déjà des liens de parenté depuis leur Terroir originel à ŋɔtsie. Le passage de ce dernier groupe des « Àguawó » dans les montagnes d’Akebu finit par leur donner le Nom communautaire des « Kebuawó » qui trouvèrent l’hospitalité auprès de la communauté des « Tavié » déjà installés depuis plusieurs générations sur les collines dénommées jusqu’aujourd’hui « Tavié-Nyitoé« .
On peut retenir de tout ce qui précède que le départ des difféfents groupes sociaux de la Cité-État de ŋɔtsié pour essaimer toute la région méridionale du Togo actuel et une bonne partie de la région orientale du Ghana actuel n’a pas été un mouvement migratoire spontané et massif pour être qualifié comme étant un véritable « exode »!¨Cela est d’autant plus logique que des groupes sociaux cherchant à s’éloigner d’un Souverain perçu comme un tyran ne prendront pas le risque d’éveiller son attention à travers un mouvement migratoire spontané et massif!
On peut retenir par ailleurs de tout ce qui précède que l’uniformité phonologique et prosodique (c’est-à-dire l’usage des tons, l’usage de l’intonation, l’allongement des voyelles, le phénomène de nasalisation, etc.) observée dans la variante dialectale de l' »Eʋègbè » habituellement dénommée « Agùgbè » s’explique par les liens séculaires de parenté liant les Agu-Akplólóawó, les Agu-yibɔàwó, les Agu-Kebuawó et les Agu-Nyɔgboawó depuis leur séjour dans la zone orientale de la Cité-État de ŋɔtsié.
On peut retenir enfin de tout ce qui précède que l’attribution de Nom communautaire (c’est-à-dire un Ethnonyme) au groupe social des « Àgùawó » et à ses démembrements subséquents répond aux Principes fondamentaux bien connus en Anthropologie, lorsqu’il s’agit d’analyser les Dynamiques de Groupe et les Identités communautaires:

  • la situation géographique du lieu d’habitation du groupe social considéré;
  • l’environnement naturel (floral et faunique) de ce lieu d’habitation;
  • la provenance migratoire du groupe social;
  • l’activité socio-économique principale de ses membres;
  • le culte sacré pratiqué par ses membres;
  • la notoriété incontestable de son chef charismatique;
  • un événement marquant ayant sérieusement affecté l’ensemble du groupe social et ayant donné naissance à une légende ou à un mythe.

L’Insécurité généralisée de plus en plus grandissante due à l’intensification de la Traite Négrière dans toute la contrée obligea les Kebuawó et les Taviéawó à quitter leur foyer commun sur les collines de Tavié-Nyitoé pour migrer vers les versants sud du Mont Agu en vue d’être plus en sécurité sur les flancs montagneux aux côtés des Clans de Forgerons Akposso et Tutrugbu ayant accueilli entre temps les Bòtsòawó arrivés du Pays Gã à l’est.
C’est ainsi que les Taviéawó s’installèrent à l’emplacement connu aujourd’hui sous l’appellation de « Tavié-ʄédò » (ce qui est un Toponyme signifiant littéralement « ancien Foyer des Tavié« ), tandis que les Kebuawó s’installèrent plus en hauteur aux côtés des Bòtsòawó à l’emplacement appelé de ce fait « Kebu » (ou « Kebo« ) jusqu’aujourd’hui.
La nécessité d’être régulièrement proche des champs de culture dans les vallées et sur les collines environnantes ajoutée au besoin de perpétuer le contrôle sur les domaines de chasse dans ces vallées amena les Taviéawo à aller fonder successivement les villages de Tavié-Tɔmegbe, de Tavié-Kumawu et de Tavié-Aʄegame d’où partirent plusieurs familles peu avant la guerre des Ashanti contre les Eʋe (de 1869/1870 à 1872) pour aller s’installer à l’emplacement dénommé «Gadzɛnʄe» (devenu «Gadzeʄe» puis «Gadzepe» par altération phonétique).


Le minerai «Gadzɛn» (Columbite-Tantalite) faisant jadis l’objet de culte spécifique au même titre que d’autres minerais comme l’Or dans la Culture Africaine et ayant donné le Toponyme «Gadzɛnʄe» dans le Terroir d’Agu. (Crédit: Wikipedia.org)

Contrairement à certaines affabulations surréalistes qui veulent faire croire aux jeunes naïfs du Terroir d’Agu que le Toponyme «Gadzepe» viendrait de la ‘bifurcation’ de la voie ferrée construite par les Allemands en 1904/1905 pour traverser cette localité fondée plusieurs générations plus tôt, ce Toponyme signifie plutôt « Sanctuaire de Gadzɛn » .
En effet, « Gadzɛn » est une Divinité ancestrale très ancienne des Taviéawo qui est l’expression de l’Énergie de la Radioactivité émanant des profondeurs terrestres vers la surface de la Terre.
L’une des formes de sa manifestation concrète est le minerai dénommé Columbite-Tantalite (en acronyme « Coltan « , voir image ci-contre) qui existe en bonne quantité dans ce Terroir. Un lieu de culte en l’honneur de cette Divinité a été jadis amenagé au pied de la colline dénommée jusqu’aujourd’hui Tavié-Nyitoé qui fut un ancien foyer des Taviéawo et où certaines familles avaient décidé de retourner s’installer pour des motivations socio-économiques (proximité par rapport aux terres cultivables et aux domaines de chasse, proximité des axes de commerce avec l’est, l’ouest et le sud).
Les mêmes motivations socio-économiques des Taviéawo avaient conduit quelques années plus tôt une partie des Keboawo à quitter leur ancien foyer à «Kebo» (ou «Aʄekpome») pour fonder les villages de Kebo-Toé, de Kebo-Agblɔdome et de Kebo-Dalave, comme cela est expliqué sous ce lien.
Ces processus migratoires et ces liens complexes entre les différents lignages et groupes sociaux dans le Terroir d’Agu permettent de mieux comprendre aujourd’hui la gestion plus ou moins harmonieuse du Patrimoine foncier des différentes collectivités dans ce Terroir jusqu’à l’avènement brutal de l’invasion coloniale européenne qui y entraîna une grave déstructuration et désorganisation.

© K. Kofi FOLIKPO, PYRAMID OF YEƲE, 2018 – 2021. Tous Droits réservés.

Références bibliographiques:

  1. BAUMANN, Oskar: Afrikanische Skizzen. Berlin: Diertich Reimer Verlag, 1900.
  2. FOLIKPO, Komdedzi Kofi: Toponymes, Patronymes, Ethnonymes, Hydronymes et Hisoire des Ewe: Jalons pour une Historiographie objective d’Agu-Kebo-Toé et Contribution à l’Histoire des Eweawó. Saarbrücken: Presses Académiques Francophones, Juillet 2017.
  3. HORNBERGER, Christian: Das Ewe-Gebiet an der Sklavenküste von West-Afrika. In: Mittheilungen aus Justus Perthes’ Anstalt über wichtige neue Erforschungen auf dem Gesamtgebiete der Geographie, Band 13, 1867 (Série de Publications scientifiques mieux connue aussi sous l’appellation ‘Petermanns geogaphische Mitteilungen).
  4. KOERT, Willi: Zur Landeskunde von Togo. In: Amtsblatt des Schutzgebietes Togo. 1906.
  5. KOERT, Willi: Geologische Karte von Togo. Mit Begleitworten. In: MEYER, Hans (éditeur): Das deutsche Kolonialreich. Leipzig: Verlag des bibliographischen Institutes, 1910.
  6. PAKU, Ehrhard: Togo ŋutinya tso 1482 vaseɖe 1980. Lomé: Éditions Haho, 1984.