L’intrusion brutale allemande

Un détachement de la brutale « Polizeischutztruppe » de l’envahisseur colonial allemand encadré par ses Sous-Officiers allemands. (Crédit: Deutsches Kolonial-Lexikon)


Une fausse idée encore largement répandue dans l’imaginaire collectif togolais a toujours voulu faire croire que la colonisation allemande précédée de la christianisation brutale aurait seulement apporté des « bienfaits civilisateurs » en réalisations d’infrastructures portuaires, routières, ferroviaires et médicales aux populations togolaises. Mais plusieurs sources orales assez crédibles du Terroir Eʋe ajoutées aux documents d’archives allemandes encore disponibles en Allemagne et aux sérieux Travaux de Recherches scientifiques effectués par des Historiens allemands honnêtes et objectifs (Seebald 1988 et 2013, Lauber 1993) et par des Germanistes togolais compétents (Ahadji 1992 et 2005 entre autres) permettent d’affirmer aujourd’hui que l’intrusion brutale allemande dans le Terroir d’Agu et dans les autres Terroirs du Togoland naissant a commencé par une Violence militaire inouïe de la « Polizeitruppe » à laquelle les Populations autochtones ayant enfin compris les graves menaces venant de ces velléités colonialistes ont opposé des Résistances militaires héroïques avec leurs moyens de bord de l’époque.
Au moins six personnages de l’Histoire coloniale allemande très violente ayant particulièrement marqué les esprits des Populations autochtones sont les Officiers et Administrateurs coloniaux Curt von François, Jesko von Puttkamer, Valentin von Massow, Erich Kling, Ludwig Wolf et Hans Georg von Doering dont voici brièvement les portraits:

Curt von François, Membre du Corps expéditionnaire violent dans le Cercle de Missahöhe (Credit: Wikipedia.org) Jesko von Puttkamer, Commandant colonial particulièrement violent dans les affaires d’expropriations foncières dans le Cercle de Missahöhe de 1889 à 1895 (Credit: Wikipedia.org) Valentin von Massow, Commandant du Corps expéditionnaire particulièrement violent en Pays Tem, Bassar, Konkomba et Kabiyè (Credit: Peter Seebald)
Erich Kling, Membre du Corps expéditionnaire vers Missahöhe, Kpando, Kete-Kratchi et Bismarcksburg (Credit: Wikipedia.org) Ludwig Wolf, Membre du Corps expéditionnaire vers Missahöhe, Kpando, Kete-Kratchi et Bismarcksburg (Credit: Wikipedia.org) Hans Georg von Doering, Directeur de la Police coloniale au Togo de 1898 à 1910 (Credit: Wikipedia.org)

Tandis que les barbaries militaires coloniales dans l’arrière-pays ont seulement commencé à partir de 1896 lorsque les troupes coloniales de l’Officier allemand Valentin von Massow se sont heurtées à la Résistance farouche des Populations en Pays Tem (Kotokoli), en Pays Bassar, en Pays Konkomba et en Pays Kabiyè, les Populations d’Agu ensemble avec les autres Populations du Cercle de Missahöhe avaient dû affronter militairement déjà dès les années 1888/1889 les troupes coloniales des Officiers et Administrateurs allemands très violents Curt von François et Jesko von Puttkamer.

Foyers des Résistances à l’invasion coloniale allemande au Togo
(Crédit: N. Lodjou GAYIBOR/Pierre ALI-NAPO)


Les batailles d’Agɔtime près d’ Agu et celles de Tove près de Kpalime sont toujours vivaces dans la Mémoire collective des Populations de ce Cercle administratif et sont consignées dans les archives et dans les livres d’Histoire.

La carte ci-contre indique les principaux Foyers de Résistance héroïque face à la violente invasion coloniale allemande au Togo naissant.
Selon les sources d’archives citées par la version allemande de l’Encyclopédie en ligne www.wikipedia.org , la « Kolonialpolizeitruppe » allemande a mené de 1894 à 1900 (soit en 6 ans seulement, sans compter la période allant de 1884 à 1893!) 35 Campagnes militaires d’envergure et plus de 50 Affrontements militaires mineurs avec les Populations autochtones dans le Togo naissant. Et ces sources précisent par ailleurs que cette « Polizeitruppe » allemande comptait jusqu’en 1914 (date du départ des Allemands du Togo suite à l’éclatement de la Première Guerre mondiale) 520 Soldats africains (essentiellement Haoussas et Yorubas recrutés hors du Togoland) et un nombre indéterminé d’Officiers et de Sous-Officiers allemands qui les entrainaient pour l’exercice des tortures cruelles et de la violence inouïe, les encadraient et les commandaient! Cet effectif militaire très impressionnant déjà à cette époque où la population du Togoland naissant atteignait à peine 1 Million d’habitants (dont environ 500 colons allemands au plus!) s’explique naturellement par la détermination farouche des Populations autochtones à ne pas se laisser spolier brutalement par l’envahisseur colonial. Il illustre suffisamment le haut degré de la Brutalité militaire dans l’intrusion coloniale allemande au Togo, contrairement aux discours idéalisés de certains naïfs méconnaissant l’Histoire coloniale allemande et cherchant à présenter toujours le Togoland allemand comme une « colonie modèle » (la fameuse « Musterkolonie » ) que les Allemands auraient rapidement réussi à développer sur le plan infrastructurel et écononique sans avoir trop commis de graves crimes et cruautés.
Cette intrusion allemande (d’abord rampante à travers la christianisation, puis brutale à travers l’assaut colonial) a gravement affecté négativement la Communauté villageoise d’Agu-Kebo-Toé et toutes les autres Communautés villageoises du Terroir d’Agu sur 5 points essentiels:

(1) le lavage brutal de cerveau exercé dès le 18e siècle par les espions allemands déguisés en « missionnaires chrétiens » à travers la diabolisation malhonnête de toutes les Valeurs spirituelles et cultuelles africaines qui sont globalement et injustement qualifiées de ‘sataniques’;

(2) les expropriations frauduleuses et brutales de vastes terres fertiles au détriment des collectivités familiales et villageoises d’Agu-Kebo-Toé et des autres villages du Terroir d’Agu par les missionnaires européens suivis plus tard par l’administrateur colonial allemand Rudolf Asmis au profit de l’homme d’affaires allemand Sholto Douglas;


L’Administrateur colonial allemand Dr. Hans Gruner en déplacement sur le terrain pour des travaux de cadastre et de levées topographiques dans la région d’Agu. (Crédit: Hans Jochen Pretsch, Frankfurter Allgemeine Zeitung)

Le Patriarche Akɔtsu (alias «Agblemegã») d’Agu-Kebo-Toé, fervent Adversaire de l’invasion coloniale allemande et des expropriations frauduleuses allemandes dans le Terroir d’Agu (Crédit: Kokou Sewonou WULEME)

(3) la grave désorganisation des Institutions socio-politiques locales telles que la Chefferie coutumière à travers l’éviction arbitraire du Patriarche Akɔtsu assumant légitimement la Fonction de Régent (Zikpui kpɔlá) de la Chefferie coutumière à la suite du décès du premier Chef coutumier Tɔgbui Abam I, car le Patriarche Akɔtsu était vivement opposé aux expropriations foncières frauduleuses commises par les envahisseurs allemands, ce qui lui a valu son remplacement précipité par le jeune successeur légitime du Trône Tɔgbui Abam II (qui est l’aïeul du Chef coutumier actuel Tɔgbui Abam IV) que les Allemands croyaient naïvement pouvoir manipuler facilement en raison de son jeune âge;

(4) l’introduction des cultures de rente destinées exclusivement à l’exportation (cacao et café en l’occurrence), avec pour conséquences la grave perturbation de l’Économie de subsistance en raison de la négligence des cultures vivrières au profit des cultures de rente destinées à l’exportation et la destruction des forêts tropicales afin de trouver l’espace pour les plantations de café et de cacao;

(5) la grave convoitise des précieuses Ressoures hydrauliques du Mont Agu (en l’occurrence les sources quasi-intarissables des rivières Kɔlɔɛ et Fligbo et d’autres sources d’eau douce telles que Tɔgãtsɛ) à travers la tentative de main basse émaillée de violences sur les populations de Kebo-Toé que le planteur allemand Otto Wöckel a organisée en 1892 pour s’installer de force à l’emplacement connu aujourd’hui sous l’appellation de « Gonthier-Todzi » (appelé anciennement « Vekli-Kɔdzi » en référence à cette installation brutale faite par le sieur Wöckel)

Ces tentatives de sordides spoliations au détriment de la Communauté villageoise d’Agu-Kebo-Toé et des autres Communautés villageoises (en l’occurrence celles d’Agu-Tavié) se sont heurtées naturellement à la vive résistance de ces Communautés. La conséquence de cette résistance fut le déploiement d’expéditions punitives sporadiques organisées derrière des allégations mensongères et absurdes de tentative d’assassinat et de sacrifices humains. C’est donc dans ce contexte que le colon allemand Otto Wöckel fit organiser entre 1892 et 1897 des expéditions répressives contre le village d’Agu-Kebo-Toé dont les habitants se sont vivement opposés à la mainmise que ce dernier tentait d’organiser sur les eaux douces de la rivière Kɔlɔɛ et de Tɔgãtsɛ. Les vestiges encore présents dans le lit de ces rivières et sources d’eau témoignent de cette sordide tentative de main basse.

Un détachement de la violente « Polizeitruppe » coloniale allemande en déploiement dans un village d’Agu. Bien remarquer le Mont Agu en errière-plan, comme cela est bien mentionné sur la photo. (Crédit: Wikipedia.org ).

Tandis que les expéditions militaro-policières punitives sous des accusations mensongères et fallacieuses contre les habitants d’Agu Kebo-Toé et des autres communautés villageoises constituaient la forme de l’intrusion politico-coloniale brutale des Allemands et que les expropriations foncières arbitraires et frauduleuses constituaient la forme de leur intrusion économique brutale et pernicieuse, le harcèlement psychologique incessant exercé intensément par les missionnaires de la Norddeutsche Missionsgesellschaft (communément appelée la Bremer Missionsgesellschaft) constituait l’intrusion idéologique brutale, perverse et pernicieuse.
En effet, le village d’Agu Kebo-Toé était déjà régulièrement pris d’assaut dès 1872 par les missionaires allemands installés depuis 1850 à Keta, à Aŋlɔgã et à Waya (situés tous aujourd’hui dans l’actuel Ghana). Ces missionnaires avaient déjà réussi à implanter progressivement des stations de missionnaires à Amedzɔʄe et à Peki (dans l’actuel Ghana) ainsi qu’à Agu-Nyɔgbo. A Partir de 1892 des cathéchistes blancs et nègres christianisés de cette société de missionnaires venaient de la station secondaire d’Agu-Nyɔgbo pour prêcher la  »bonne nouvelle » à Agu-Kebo-Toé qui deviendra aussi une station secondaire dès cette époque (sur l’insistance des colons allemands Henrici, Wöckel et Sholto Douglas entre autres). Cela leur donna l’alibi de demander aux Dignitaires de Kebo-Toé de leur permettre d’ouvrir une petite école d’alphabétisation en Eʋegbe et en Allemand dès 1894.
C’est ainsi que l’emplacement jadis connu sous l’appellation d’Ategbleʋuɖome qui était déjà un lieu de culte populaire du Terroir (en l’honneur de la Divinité ancestrale Ategble, comme cela est déjà expliqué ICI) a été mis à disposition pour cette initiative en faveur de la communauté villageoise de Kebo-Toé et de ses voisins immédiats. Cette école d’alphabétisation des missionnaires allemands connaîtra dès 1904 une extension, quand ces missionnaires firent de celle-ci une résidence permanente d’un cathéchiste chargé d’animer la petite communauté de nouveaux baptisés. Une petite chapelle en briques de terre vint alors s’ajouter à la petite école d’alphabétisation d’Ategbleʋuɖome.
L’implantation du colon allemand Otto Wöckel à Vekli-Kɔdzi (devenu plus tard Gonthier-Todzi avec l’arrivée des envahisseurs coloniaux français) suivie de l’implantation de la station secondaire de la Société de la Mission de Brême («Norddeutsche Missionsgesellschaft» en Allemand) dans le village d’Agu-Kebo-Toé fit de ce village dès cette époque un passage obligé durant le projet de construction d’un pylône de télé-communication au sommet du Mont Agu en vue de relier le Togo et l’Allemagne.

Socles du pylône de télé-communication construits par les colons allemands au somment du Mont Agu dès 1905.

Les vestiges de ce premier pylône de télé-communication sont encore visibles sur le Pic d’Agu (voir images ci-contre), non loin des antennes de la Télévision Togolaise implantées par l’État Togolais dans les années 1970.
Ce site d’implantation du pylône sera abandonné pour des raisons inconnues au profit du site de Kamina près d’Atakpamé où les Allemands installèrent pour la première fois dans l’Histoire coloniale européenne en Afrique la première liaison de télé-communication entre l’Afrique de l’Ouest et l’Europe dès 1905.
Quand la Première Guerre Mondiale éclata et que les Armées coloniales britanniques et françaises agressèrent respectivement depuis la Gold Coast (actuel Ghana) et depuis le Dahomey (actuel Bénin) les colons allemands au Togo de façon inattendue en août 1914, le colon allemand Otto Wöckel surpris et désemparé, comptait sur le soutien de la population de ce Terroir pour se protéger contre l’agression sporadique franco-britannique. Il se barricada dans sa somptueuse résidence à Vekli-Kɔdzi (aujourd’hui Gonthier-Todzi) et demanda au Chefs coutumiers d’Agu-Kebo-Toé et des autres villages à travers ses émissaires de s’organiser militairement pour repousser l’assaut franco-britannique imminent.
Les Chefs coutumiers et leur population ayant compris qu’ils ne gagneraient rien en s’immisçant dans un conflit armé entre différents envahisseurs européens, se sont abstenus de toute action militaire.
Otto Wöckel et les siens ont été cueillis dans leur résidence par les troupes franco-britanniques et ont été déportés vers le Dahomey pour être emprisonnés pendant plusieurs mois, avant d’être expulsés vers l’Allemagne en raison de la dégradation de leur état de santé.
Leurs biens fonciers et immobiliers frauduleusement arrachés auparavant aux populations d’Agu-Kebo et d’Agu-Tavié ont été brutalement confisqués par les nouveaux envahisseurs coloniaux que sont les Français et les Britanniques.
Cette fin brutale et inattendue de l’aventure coloniale allemande dans le Terroir d’Agu va désormais compliquer davantage les revendications légitimes des populations pour la rétrocession des vastes domaines fonciers qui leur ont été préalablement arrachés de façon frauduleuse et qui se sont retrouvés désormais entre les mains des envahisseurs coloniaux français dont la brutalité, la rapacité et la cruauté dépasseront de très loin celles des envahisseurs coloniaux allemands.


© K. Kofi FOLIKPO, PYRAMID OF YEƲE, 2019 – 2021. Tous Droits réservés.

Références bibliographiques:

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  • HENRICI, Ernst: Das deutsche Togogebiet und meine Afrikareise: 1887. Leipzig: Reissner, 1888. (téléchargeable en version digitalisée à partir du site de la Bibiothèque universitaire de Düsseldorf ICI)
  • HENRICI, Ernst: Lehrbuch der Ephe-Sprache: Anlo-, Anecho- und Dahome-Mundart. 1891 (reédité le 18 juin 2013 aux Éditions Unikum Verlag).
  • KOERT, Willi: Über die Wasserverhältnisse im Süd-Togo. In:  Mitteilung an die geologische Zentralstelle der deutschen Schutzgebiete , Band XVIII, 1905.
  • LAUBER, Wolfgang: Deutsche Architektur in Togo 1884 – 1914/L’architecture allemande au Togo 1884 – 1914. Stuttgart: Karl Krämer Verlag, 1993.
  • MASSOW (von), Valentin: Die Eroberung von Nordtogo 1896 – 1899. Tagebücher und Briefe (édité et publié par Peter SEBALD dans la Collection « Cognoscere Historias  » ), Volume 21, Bremen: Éditions Falkenberg, 2014.
  • SEBALD, Peter: Malam Musa, Gottlob Adolf Krause: 1850 – 1938. Forscher, Wissenschaftler, Humanist. Leben und Lebenswerk eines antikolonial gesinnten Afrika-Wissenschaftlers unter den Bedingingen des Kolonialismus. Berlin: Akademie-Verlag, 1972.
  • SEBALD, Peter: Togo 1884–1914. Eine Geschichte der deutschen „Musterkolonie“ auf der Grundlage amtlicher Quellen. Berlin: Akademie-Verlag, 1988.
  • SEBALD, Peter: Die deutsche Kolonie Togo 1884 – 1914. Auswirkungen einer Fremdherrschaft. Ch. Links Verlag, 2013.