Chefferie coutumière

 

 

 

 

 

 

La composition de la Chefferie coutumière ancestrale dans un village Eʋe comme celui d’Agu-Kebo-Toé obéit toujours au Principe fondamental de l’Équilibre triadique (toujours récurrent dans toutes les structures sociales) et au Principe de la Complémentarité permanente entre Homme et Femme, comme le schéma ci-après en donne une parfaite illustration:


L’émergence progressive de la Chefferie coutumière complète et fonctionnelle à Agu-Kebo-Toé se situe entre les années 1790 et 1795, quand de nouveaux clans en provenance du foyer originel de «Kebo» (ou «Aʄekpome») sous la conduite du Patriarche Drah se sont joints aux premiers clans fondateurs pour donner naissance aux quartiers «Aveme» et «Toliʄedo».
Les premiers clans fondateurs installés jusque-là sur le site de «Toénu» (incluant le site «Ategbleʋuɖome» devenu «Mission-Kpodzi»), sur le site des quartiers «Sogblɛndome» (devenu «Sogblodome») et «Agɔɖome» dépendaient toujours de l’«Awɔmefia» des Keboawo installés jusque-là sur le site connu aujourd’hui sous l’appellation d’ «Aʄekpome» ou «Kebo».
L’«Awɔmefia» des Keboawo a toujours été en contact permanent avec l’«Awɔmefia» des Nyɔgboawo installés sur les hauteurs de l’actuel village d’Agu-Nyɔgbo-Dzidzɔle.
Il l’était également avec l’«Awɔmefia» des Taviéawo installés sur le site dénommé aujourd’hui «Taviéʄedo».
Il était aussi toujours en contact permanent avec l’«Awɔmefia» des Agu-Yibɔawo installés sur le site de l’actuel village d’Agu-Yibɔ-Fiagbɔme.
On peut déduire de tout ce qui précède que les «Awɔmefia» (dont dépendent les «Dufia» administrant les villages) remplissent la fonction de Chef de District dans la Philosophie politique du Peuple Eʋe ainsi que dans sa conception de l’Administration territoriale.
En effet, l’«Awɔ» désigne dans la Philosophie politique Eʋe un Territoire habité et exploité par un ensemble assez homogène de Clans («Hlɔ»/«Hlɔsa») issus de différentes provenances ethniques («Kɔta») mais ayant accepté de mettre en commun leurs moyens et ressources pour défendre et pérenniser ce Territoire.
On peut déduire également de tout ce qui précède que le Terroir d’Agu connaissait un système d’Administration territoriale bien organisée avant le début des invasions européennes brutales et désorganisatrices à partir de la fin du 18e siècle de l’ère actuelle.
Avec l’agrandissement de la localité de «Toénu» en nombre d’habitants et en aire d’occupation, surgit la nécessité d’avoir un Personnage de Référence pour régler les affaires courantes (litiges fonciers, conflits inter-personnels mineurs, travaux d’amenagement, gestion des ressources naturelles, etc.).
Ce Personnage de Référence désigné par consensus (en se basant sur les critères de dévouement pour la Cause commune, sur l’Âge, sur les Qualités éthiques et sur la Disponibilité) est appelé «» ou «» (également transcrit parfois comme «Gah» ou «Ègá») dans la Philosophie politique Eʋe.
Un «» (ou «») dans la Philosophie politique Eʋe est donc juste un Personnage de grandes Qualités morales et sociales désigné par consensus pour la conduite des affaires courantes d’une communauté, mais n’est pas encore un «Fia» (terme signifiant littéralement Guide), puisqu’il n’est pas officiellement intronisé et titularisé devant le grand Public en recevant officiellement tous les Attributs de Pouvoir et d’Administration de la part des «Dumegã» (et surtout de la part des Dignitaires spirituels et mystiques communément appelés «Atchɛtɔ» ou «Acɛtɔ») ainsi qu’un Nom de Titulature (un «Fia-ŋúkɔ») pour devenir le véritable Garant des Us et Coutumes de toute la Communauté.
Cette Nuance sémantique entre le terme «Ga» ou «» (signifiant littéralement Grand/Supérieur) et le terme «Fia» (signifiant littéralement Guide ) est très importante, car le «Ga» n’est pas encore un «Fia» puisqu’il n’a pas officiellement reçu tous les Attributs de Pouvoir et d’Administration de la part des «Dumegã».
Le Premier «Ga» choisi par la Communauté en évolution à Toénu fut Tɔgbui Ala (Patriarche des Familles Akɔtsu/Akotsu, Dɔbu/Dobou, Wuleme/Wouleme, Agudze/Agoudze, Gbeɖenu/Gbedenou, Mati/Matty, etc.)
Ce choix porté sur Tɔgbui Ala respecte un Principe social multi-millénaire au sein du Peuple Eʋe (et au sein des autres Peuples parentés) guidant les mécanismes d’Équilibre triadique des Forces sociales et stipulant que la Fonction de Père-Fondateur (Dutɔ ou Mankraɖo) au sein d’une communauté villageoise (naissante ou en croissance) revienne au groupe social le plus ancien installé sur les lieux, que la Fonction de Coordinateur ou Porte-Parole (Gbeɖɔla ou Tsyami) revienne au deuxième groupe ayant suivi le premier groupe et que la Fonction de Représentant officiel (un «» susceptible de devenir un «Fia») revienne au troisième groupe social qui s’est joint aux deux premiers.
Il est essentiel de préciser au passage que le choix interne du personnage censé assumer chacune de ces Fonctions au nom d’un Clan («Hlɔ»/«Hlɔsa») ou au nom d’une Famille («Ƒome») peut suivre la voie patrilinéaire (ce qui est d’ailleurs souvent le cas) ou matrilinéaire, tant que le personnage choisi peut parler valablement au nom de ce groupe social et répond aux critères du choix.
Lorsque les «Dumegã» décidèrent de faire du Patriarche Ala le «Fia» (c’est-à-dire le «Dufia» du village en expansion) au regard des résultats satisfaisants dans sa gestion des affaires courantes en qualité de «», l’âge très avancé de celui-ci (environ 95 ans selon les témoignages) l’amena à proposer plutôt son plus jeune neveu Abam.
Les «Dumegã» procédèrent alors au Rituel hautement sacré du «To-lílí» sur le site où celui avait élu quartier et l’intronisèrent solennellement par la suite comme le premier «Dufia» d’Agu-Kebo-Toé.
C’est ainsi que ce quartier finit par s’appeler «Tolíʄé» (devenu «Toliʄédò») dès les années 1820 selon les datations les plus sérieuses.
Le «To» dont il est question ici dans le mot composé «To-lílí» désigne l’Organe législatif coutumier résultant des Trois Pôles conceptuels (Atám) et sans lequel l’Organe exécutif coutumier («Fiaɖuʄe»/«Fiaha») et l’Organe judiciaire coutumier («Ʋɔnu») ne peuvent prendre forme et fonctionner convenablement, comme cela est expliqué plus loin sous la Rubrique intitulée Conseil des «Dumegã».
Le règne du premier «Dufia» sous le Nom de Titulature de Tɔgbui Abam I dès les années 1820 sera suivi après son décès par une période de régence conduite par le Patriarche Akɔtsu issu du même Clan (Hlɔsa) que le premier «» que fut le Patriarche Ala.
Cette période de régence sous la houlette du Patriarche Akɔtsu coïncida avec l’avènement de l’invasion coloniale allemande violente et brutale dès 1885 à laquelle il s’est vivement opposé, et sera suivie par un règne de courte durée conduit par le deuxième «Dufia» (Tɔgbui Abam II) intronisé en la personne d’un fils du défunt Tɔgbui Abam I.
À la suite de la demande formulée par les «Dumegã» pour trouver un successeur digne afin de mettre fin à cette deuxième période de régence (conduite de nouveau par le Patriarche Akɔtsu), la Famille Gato (ou Gator) et alliées dont sont issus Tɔgbui Abam I et Tɔgbui Abam II, proposèrent leur neveu qui était un jeune homme très dynamique et avisé issu du côté patrilinéaire de la Famille Klugã (ou Klugan) du Quartier «Degãɖome».
Sur approbation de la Famille Klugan leur jeune Maître-Charpentier très doué fut choisi et intronisé dans le courant des années 1930 sous le Nom de Titulature de Tɔgbui Abɔɖi.
Le règne héroïque, glorieux et très satisfaisant de Tɔgbui Abɔɖi à la tête de la communauté villageoise durant toute la violente époque coloniale française jusque dans les années 1980 a été suivi de nouveau par une période de régence de plusieurs années très mouvementées, jusqu’à ce que la Famille Gato et alliées proposent de nouveau un successeur qui a été intronisé sous le Nom de Titulature de Tɔgbui Abam IV et qui est à la tête de la Chefferie coutumière d’Agu-Kebo-Toé depuis la fin des années 1990 jusqu’à ce jour.
On peut retenir de tous les développements précédents que le village d’Agu-Kebo-Toé fondé autour de 1730 s’est doté graduellement d’une Chefferie coutumière fonctionnelle à partir de 1795.
Elle s’est consolidée dès les années 1820 avec l’intronisation officielle du premier Chef coutumier sous le Nom de Titulature de Tɔgbui Abam I.
On comprend donc aisément que cette communauté villageoise (à l’instar de toutes les autres communautés du Terroir d’Agu) était déjà dotée d’Institutions socio-politiques endogènes et fonctionnelles ainsi que d’un système administratif et judiciaire opérationnel, bien avant l’invasion coloniale allemande brutale et violente à partir de 1884.
Ces faits irréfutables viennent démentir catégoriquement les allégations mensongères et fallacieuses des uns et des autres qui affirment dare-dare très souvent que la Chefferie coutumière aurait pris forme en Pays Eʋe avec l’avènement de la violente colonisation allemande, alors que cette invasion coloniale allemande était plutôt venue désorganiser brutalement les Institutions socio-politiques endogènes et les activités socio-économiques endogènes.


© K. Kofi FOLIKPO, PYRAMID OF YEƲE, 2018 – 2019. Tous Droits réservés.

Références bibliographiques:

  1. ASMIS, Rudolf: Die Stammesrechte der Bezirke Misahöhe, Anecho und Lome-Land. In: Zeitschrift für die vergleichende Rechtswissenschaft (Revue de Droit Comparé), Band 26, Stuttgart, 1911, (pages 1 – 133).
  2. FOLIKPO, Komdedzi Kofi: Toponymes, Patronymes, Ethnonymes, Hydronymes et Hisoire des Ewe: Jalons pour une Historiographie objective d’Agu-Kebo-Toé et Contribution à l’Histoire des Eweawó. Saarbrücken: Presses Académiques Francophones, Juillet 2017.
  3. HORNBERGER, Christian: Das Ewe-Gebiet an der Sklavenküste von West-Afrika. In: Mittheilungen aus Justus Perthes’ Anstalt über wichtige neue Erforschungen auf dem Gesamtgebiete der Geographie, Band 13, 1867 (Série de Publications scientifiques mieux connue aussi sous l’appellation ‘Petermanns geogaphische Mitteilungen).
  4. KWAKUME Henry: Précis d’histoire du peuple Éwé. Lomé: Imprimerie de l’École Professionnelle, 1949.