Les Expansions récentes: Agu-Kebo-AƑEYEYEME

 


AGU-KEBO-AƑEYEYEME (OU APEYEYEME):
SA GENÈSE, SON ÉVOLUTION ET SES RATTACHEMENTS.

De l’appellation «Agblemegã Kɔʄe» à l’appellation «Agu-Kebo-Apeyeyeme» en passant par l’appellation «Megbedzre».

Le Patriarche Akɔtsu assumant la Fonction de Régent (Zikpui kpɔlá) pour la Chefferie coutumière depuis les années 1880 à Agu-Kebo-Toé fut l’un des farouches adversaires de l’invasion brutale allemande avec son lot d’expropriations arbitraires et brutales.


Le Patriarche Akɔtsu (alias «Agblemegã») d’Agu-Kebo-Toé, fervent Adversaire de l’invasion coloniale allemande et des expropriations frauduleuses allemandes dans le Terroir d’Agu (Crédit: Kokou Sewonou WULEME)

Sa détermination anti-coloniale lui a valu plusieurs fois non seulement des emprisonnements arbitraires à Misahöhe sur ordre de Jesko von Puttkammer, «Commissaire impérial du Togoland» allemand et «Commandant du Cercle» de Misahöhe à l’époque, mais aussi des traitements inhumains dont l’unique but était de casser son moral et d’intimider toute autre personne qui oserait opposer une résistance aux manœuvres d’expropriation frauduleuses des colonisateurs allemands.
Après plusieurs mois passés dans les geôles coloniales à Misahöhe entre 1890 et 1892, il décida courageusement de s’opposer encore plus vigoureusement aux expropriations frauduleuses allemandes en allant s’installer en permanence sur ses terres ancestrales très fertiles dans la vallée, des terres qui faisaient l’objet de vives convoitises de l’Administrateur colonial allemand Rudolf Asmis dont l’intention était de s’en accaparer pour le compte de l’homme d’affaires allemand Sholto Douglas.
Il construisit alors un hameau sur ses terres ancestrales et commença ardemment leur mise en valeur de grande envergure.
L’étendue impressionnante de ses plantations lui valut le surnom de «Agblemegã» (signifiant littéralement «le Propriétaire des Plantations») et son hameau reçut alors l’appellation de «Agblemegã Kɔʄe» ou «Agblemegã Kɔdzi» .
Le bras de fer entre le Patriarche Akɔtsu et les usurpateurs allemands a pris entre temps une dimension très dramatique, au point où le nouveau «Commandant de Cercle» de Misahöhe en la personne de Dr. Hans Gruner (voir image ci-après) a dû prendre lui-même la tête de la «Landkommision» (Commission des Affaires foncières) pour tenter de dénouer la situation devenue très explosive.


L’Administrateur colonial allemand Dr. Hans Gruner en déplacement sur le terrain pour des travaux de cadastre et de levées topographiques dans la région d’Agu. (Crédit: Hans Jochen Pretsch, Frankfurter Allgemeine Zeitung)

Les Allemands partirent du Togo en 1914 suite à leur défaite inattendue face à l’agression franco-britannique et le Cercle administratif de Misahöhe connut d’abord une occupation militaro-administrative par les Britanniques avant de passer sous administration coloniale française dès 1919 selon le mandat de la Société des Nations (SDN) pour prendre la dénomination de «Circonscription de Klouto» (ou «Kloto»).
L’initiative hardie du Patriarche Akɔtsu face aux manoeuvres d’expropriations arbitraires et frauduleuses encouragea depuis l’époque coloniale allemande d’autres habitants de Kebo-Toé qui sentaient le besoin de quitter leur foyer afin d’éviter certains malentendus familiaux pour le rejoindre dans la vallée.
Le Patriarche les accueillit et les fit installer non loin de son hameau et ceux-ci baptisèrent leur nouveau lieu d’implantation «Megbedzre» (ce qui signifie littéralement «Je m’éloigne des conflits (familiaux)»).
Les collectivités d’Agu-Kebo-Toé dont certains membres venaient de rejoindre ainsi le Patriarche Akɔtsu, décidèrent de relancer leurs revendications légitimes pour la rétrocession entière de leurs terres que les colons allemands leur avaient frauduleusement arrachées quelques années plus tôt.
Elles envoyèrent en 1920 sur instigation des Patriarches Akɔtsu et Folikpo une délégation auprès du «Commandant du Cercle» français à Kpalime pour plaider leur cause.
La maneouvre d’intimidation de ce dernier s’est traduite par l’emprisonnement arbitraire des émissaires qui écopèrent en plus des amendes pour des motifs fallacieux.
Face au risque d’explosion sociale généralisée dans toute la région où les frustrations longtemps accumulées en raison des expropriations foncières commises au temps des Allemands risquent de s’exprimer de manière violente et spontanée à la suite de cet emprisonement collectif et arbitraire, les émissaires furent libérés quelques jours plus tard et le colonisateur français opta pour la ruse en vue d’étouffer les revendications des collectivités villageoises.
Un inventaire systématique de tous les domaines fonciers préalablement acquis de manière frauduleuse par les colons allemands dans la région a été ordonné dès 1920 par l’Administration coloniale française.
Ces domaines fonciers firent ensuite l’objet d’un bail au profit du colon français Gasparin à partir de 1927 afin que ce dernier relance le développement des plantations industrielles pour les produits de rente destinés à l’exportation.
Ce bail au profit du colon français Gasparin fut flanqué de la promesse fallacieuse faite au populations du Terroir auxquelles on fit croire que la mise en exploitation de ces terres par le sieur Gasparin et ses sociétaires leur apporterait des emplois salariés.
L’ampleur des activités de la société des colons français sur les plantations industrielles ajoutée à l’intensification du trafic routier sur l’axe Lomé-Kpalimé à partir de la fin des années 1930 (c’est-à-dire de 1938 à 1939) jusqu’au milieu des années 1940 (de 1946 à 1947 environ) entraîna l’émergence progressive du petit commerce à «Megbedzre» bien situé au bord de la route Lomé-Kpalimé.
C’est donc cette importance progressive prise par la localité de «Megbedzre» au fil du temps qui encouragea plus tard Monsieur Atawuia MATTY à suggérer à la Section des Transports routiers de la Société publique des Chemins de Fer du Togo (CFT) la création d’un arrêt de bus à cet emplacement sur l’axe routier Lomé-Kpalimé. Monsieur Atawuia MATTY travaillait à cette époque en qualité de Conducteur de véhicules de transports publics pour cette Société.
Avec la création de cet arrêt de bus qui a été opérationnel jusqu’au milieu des années 1980, la localité de «Megbedzre» a fini par prendre la structure d’un petit village typiquement Eʋe, tout en dépendant de la Chefferie coutumière d’Agu-Kebo-Toé.
C’est donc au regard de cette évolution significative de la localité de «Megbedzre», ajoutée à l’agrandissement des localités voisines dénommées «Plan-Ville» et «Ali-Kpakpa-Kɔdzi» qui amena les Autorités préfectorales d’Agou à leur reconnaître officiellement et de manière regroupée le statut de nouveau village dans le Canton de Kebo sous la dénomination de «Kebo-Aʄeyeyeme» (ou «Kebo-Apeyeyeme») dès la fin des années 1980 (c’est-à-dire entre 1988 et 1990).

Le hameau voisin isolé «Tókɔɛ»: sa genèse et son évolution.

Le Toponyme «Tókɔɛ» est un mot composé Eʋe fait du substantif «» (Lisière, comme dans le mot composé «Aʄétó», c’est-à-dire «à la lisière de l’habitation»), du substantif «» (Subdivision/Quartier, comme dans le mot composé «Kɔme», c’est-à-dire «le Quartier d’un village» ) et du diminutif «ɛ» (c’est-à-dire petit).
Il signifie donc littéralement «le petit Quartier à la lisière (du village)».
La naissance de ce hameau remonte aux activités intenses du Patriarche Agbodo et de sa collectivité (composée entre autres des Familles Agbobli, Doh, Akɔli, Kɔnu, Degboe, Daku, Kuda et Klu) pour la production quantitative et qualitative de l’huile de palme et de l’huile de palmiste destinées aux marchés régionaux (jusqu’à Aŋlɔgã et sur les rives du fleuve Amugã ou Volta au Ghana actuel), bien avant l’introduction des cultures de rente comme le cacao et le café pour l’exportation vers l’Europe à partir du début du 19e siècle de notre ère (vers 1820) qui marque l’intensification des échanges commerciaux avec l’Europe et les Amériques ainsi que le début timide de l’invasion coloniale des côtes ouest-africaines par les Européens.

Photo illustrative d’extraction à la main des noix de palme pour la production d’huile de palme.

En effet, le Patriarche Agbodo et les siens avaient estimé qu’il était plus pratique de procéder sur les champs à l’extraction des noix de palme et à leur traitement pour la production de l’huile de palme, de l’huile de palmiste et de la coque de noix de palmiste (qui est un combustible très précieux dans les Travaux de la Métallurgie et de la Forge), au lieu de les transporter péniblement jusqu’au village à Agu-Kebo-Toé. Ils installèrent alors sur les rives de la rivière Tɔgã (c’est-à-dire Fligbo ou Flugbo) une cuvette de foulage en pierre taillée, comme cela continue de se faire un peu partout en Afrique de l’Ouest jusqu’aujourd’hui, et comme la vidéo ci-après en donne une parfaite illustration.


 

 

 

 

 


Cette cuvette en pierre faisant fonction d’un mortier à piler ou à malaxer est habituellement appelée «To» ou «Dé-tóto» en Eʋegbe et l’endroit où elle est installée s’appelle «Tokɔ» (signifiant littéralement «le lieu d’installation d’un To»).
Ce «Tokɔ» installé par le Patriarche Agbodo finit par s’appeler «Agbodo-Tokɔ».
L’initiative du Patriarche Agbodo et des siens a connu avec le temps un très grand succès socio-économique, au point où «Tókɔɛ» (le lieu d’habitation) et «Agbodo-Tokɔ» (le lieu de travail et de production) sont devenus jusque dans les années 1880 le site d’une petite usine artisanale de coopérative agro-alimentaire très performante qui drainait des travailleurs saisonniers et des commerçants d’un peu partout en pays Eʋe et même jusqu’au-delà.
Le déclin socio-économique de «Tókɔɛ» et de son site de production «Agbodo-Tokɔ» a commencé autour des années 1905/1906, quand la société coloniale allemande «Agu-Pflanzungsgesellschaft» de Sholto Douglas et d’Otto Wöckel implanta sur le site actuel des locaux de la SONAPH une première petite huilerie industrielle pour la production d’huile de palme, dans l’unique but d’asphyxier économiquement les petits producteurs autochtones à travers l’écoulement du même produit sur le marché local, à travers le monopole de l’exportation vers l’extérieur et à travers l’absorption très habile des producteurs locaux comme main d’oeuvre salariée et servile sur les plantations industrielles allemandes.
Certains Natifs d’Agu-Kebo-Toé tels que Isaac Agbodo (petit-fils du Patriarche Agbodo), Fritz Dobu, Gassou Gator et Kokouvi Degboe entre autres ont fait perpétuer jusque dans les années 1970 cette tradition de production artisanale quantitative et qualitative de l’huile de palme et de l’huile de palmiste sur le site d’ «Agbodo-Tokɔ» .
On peut donc comprendre de toute ce qui précède que le hameau de «Tókɔɛ» mérite d’être soigneusement réhabilité afin de conserver au profit des générations futures la Mémoire collective dans le domaine du Développement socio-économique endogène et de l’Entreprenariat endogène.

L’installation de nouveaux arrivants de Kebo sur le site voisin de «Plan-Ville».

La genèse de la localité dénommée initialement «Plan-Ville» a eu lieu dans le contexte similaire de «Megbedzre», un contexte dans lequel le souci d’être proche de ses propres terres fertiles ancestrales pour ne pas être arbitrairement exproprié par les colons français ajouté à l’émulation socio-économique provoquée par l’introduction des cultures de rente destinées à l’exportation et par la création des plantations industrielles coloniales ont joué un rôle déterminant.
En effet, la mise en échec du plan allemand d’expropriation totale de toutes les terres cutlivables dans la vallée grâce aux actions énergiques du Patriarche Akɔtsu a encouragé d’autres Natifs d’Agu-Kebo-Toé à lui emboîter le pas, face aux manœuvres françaises de plus en plus menaçantes visant à étendre les limites des domaines fonciers déjà arrachés de façon brutale ou frauduleuse aux collectivités.
C’est ainsi que certains Natifs de Kebo-Toé décidèrent de s’installer sur leurs terres agricoles ancestrales dans la vallée, non loin du site d’installation du Patriarche Akɔtsu et de ses suiveurs.
Pour ce concerne la signification du Toponyme «Plan-Ville», deux versions non contradictoires existent et mettent en juxtaposition l’envahisseur colonial français et les Collectivités du terroir.
La première version (peu plausible à notre humble avis) estime que l’installation à cet emplacement des premiers habitants descendus du village d’Agu-Kebo-Toé leur fit dire que la proximité du lieu par rapport à l’axe routier Lomé-Kpalimé leur permettrait d’en faire à terme une «ville» construite selon un «plan moderne» à l’instar de ce que firent les colons allemands de la localité de Kpalimé qui n’était jadis qu’un simple carrefour commercial.
La deuxième version dit que c’est plutôt le colon français Gonthier dirigeant la société des plantations industrielles qui projetait secrètement de faire main basse sur ces terres pour y construire une sorte de «petite ville» selon un «plan moderne» afin que ses employés puissent y trouver des logements. Ce projet secret d’expropriation par Gonthier aurait été découvert par les Collectivités propriétaires de ces terres et les aurait poussé à venir s’y implanter rapidement afin d’empêcher toute expropriation arbitraire par les colons français.
Dans un cas comme dans l’autre, l’esprit ayant guidé la fondation de «Plan-Ville» était essentiellement animé par l’émergence d’un nouveau type d’habitat élégant, aéré et moins entassé adapté à la plaine, qui diffère du type de l’habitat très ingénieux, massif et entassé propre aux flancs et aux versants du Mont Agu.

L’installation d’Ali-Kpakpa et d’autres travailleurs allogènes des Palmeraies industrielles à «Ali-Kpakpa-Kɔdzi»

La création des plantations industrielles par la société «Agu-Pflanzungsgesellschaft» fondée par l’homme d’affaires allemand Sholto Douglas en 1890 et dirigée par le colon allemand Otto Wöckel a été soutenue par une politique coloniale de déplacement massif de la main d’oeuvre venant des régions centrales et septentrionales du Togo vers les régions méridionales.
Cette politique coloniale de déplacement des populations des pays Kabiyè et Nawdm (ou Losso) dans les Régions centrale et septentrionale vers la Région des Plateaux et vers la Région Maritime a été reprise par l’Administration coloniale française au profit des colons français Gasparin et Gonthier à partir des années 1930 en vue de poursuivre la création des plantations industrielles sur les terres frauduleusement arrachées aux collectivités du Terroir.
C’est ainsi que les employés venus de l’arrière-pays pour travailler comme salariés sur ces plantations sont amenés à solliciter la bienveillance des collectivités autochtones pour construire sur un lopin de terre de ces dernières une habitation de fortune non loin des lieux d’habitation déjà existants et non loin des plantations industrielles.
Un Chef d’équipe d’origine Kabiyè qui s’appelait Ali et qui avait pour fonction la surveillance des travaux dans les palmeraies avait eu la faveur des collectivités d’Agu-Kebo-Toé de construire son habitation sur un lopin de terre que celles-ci lui ont offert non loin de la localité dénommée «Plan-Ville».
Ce lieu d’installation de ce Chef d’équipe surnommé avec le temps «Ali-Kpakpa» (en référence à son travail dans les palmeraies industrielles) s’agrandit progressivement au fur et à mesure que les plantations industrielles avaient toujours besoin de main d’oeuvre qui venait de loin, pour recevoir finalement l’appellation «Ali-Kpakpa-Kɔdzi» ou «Ali-Kpakpa-Kɔʄe» (ce qui signifie littéralement «le hameau d’Ali-Kpakpa»).
Les liens de mariage et d’amitié entre cette communauté allogène et les collectivités autochtones ont fini par intégrer de façon harmonieuse cette nouvelle localité dans le Terroir d’Agu-Kebo et d’Agu-Tavié, au point où l’Administration préfectorale d’Agou a fini par l’incorporer dans l’agglomération villageoise naissante de Kebo-Aʄeyeyeme (ou Kebo-Apeyeyeme) à partir des années 1990.

© K. Kofi FOLIKPO, PYRAMID OF YEƲE, 2018 – 2021. Tous Droits réservés.

Références bibliographiques:

  1. AHADJI, Yaovi Ametepe Valentin: Les plantations coloniales allemandes au Togo et leur évolution 1884 – 1939. Thèse de Doctorat d’État en Études Germaniques. Université de Paris 7, 1996.
  2. AHADJI, Yaovi Ametepe Valentin: La coopérative de production rurale d’Agou (COPRA). In: Annales de l’Université du Bénin. Série Lettres, Tome XVI, 1996, pages 1 – 31.
  3. AHADJI, Yaovi Ametepe Valentin: Landfrage in Togo zur Kolonialzeit. In: Revus CAMES, Série B, Volume 005, N° 1-2, 2003, pages 19 – 32.
  4. VIVIER, Jean-Loup:L’affaire Gasparin: un scandale colonial oublié. Paris: L’Harmattan, 2007.